10 octobre 2016

Julie Navarro - "Je vois le ciel au fond du puits"












Julie Navarro - Je vois le ciel au fond du puits

Jeudi 13 octobre au samedi 22 octobre 2016 
Vernissage le jeudi 13 octobre 2016 à partir de 18H00 
Signature du catalogue de l’artiste, avec un texte d’Yves Michaud. Ed. La Compagnie d’Hauteville

Ouvert du jeudi au dimanche de 15h à 18h (sauf les 21 octobre et 22 octobre ouverts seulement en nocturne, à partir de 18h jusqu’à 22h) 
Contact : 06 65 06 88 87 / 06 33 36 53 38

Il y a le visible et autre chose, sous-jacent, comme en creux, au-delà des cultures et des pays, dans l’espace blanc d’entre les signes. Si l’on ne comprend pas les langues étrangères, ce qui se dit, on perçoit néanmoins ce qui se joue, une main tendue est une main tendue. L’écrivain Nathalie Sarraute évoquait des Tropismes, du grec tropos, c’est la tendance d'un organisme, une plante, à croître dans une direction donnée, vers le bas ou la lumière. Les tropismes sont des prolongements parfois non-visibles ; on trouve également les saxifrages qui surgissent sur les rochers les plus arides et les plaques de bitumes des villes, nos vies sont peut-être un écho du monde vert.
Julie Navarro évolue sur un sol abondant d’où nous parvient l’odeur de la terre sous les pieds, l’humus, c’est un mille-feuilles composite, l’histoire des ancêtres, de ceux qui sont à la fois en dessous et au-dessus, déjà partis et toujours là.
Ses recherches vont vers les profondeurs, l’artiste écoute ce que disent les tourbières,  c’est un paysage végétal fait de creux et de bosses où l’on peut retracer sur deux mètres l’évolution des dix mille ans passés.  L’humidité liée à l’air laisse planer au-dessus des tourbières des feux follets, ces fantômes viennent nous saluer à la surface. L’artiste côtoie la Pachamama, la Terre-Mère, c’est la déesse terre, étroitement liée à la fertilité et considérée par les peuples incas comme un être vivant. Dans le nord ouest de l’Argentine, le rituel contemporain de Pachamama est un trou creusé dans la bouche de la terre, la Boca, qui permet d’accéder à son cœur. Les habitants nourrissent la Boca de céréales et d’alcool, puis la referment en dansant et en chantant pour que l’année à venir soit bonne. Par son écoute du sol, l’artiste révèle ce qui nous reliela terre est un fluide qui traverse les êtres, les animaux, les feuillages comme en Afrique animiste où en Mongolie, là où les hommes croient que même les choses ont une âme. Des réseaux se tissent, invisibles, des fils tendus entre la vie et la non vie et ce qui ne se voit pas apparaît en couleur dans son travail plastique : on plonge dans le vert-feuille, le rose-éros ou le bleu-ciel. C’est une logique de la sensation, comme la nomme Gilles Deleuze.
Les formes s’arrondissent, se répètent, les matières, laine ou coton, rappellent des motifs naturels.  Les tracés sur ses toiles sont des chemins à prendre, ces lignes ouvertes, ces ovales sensuels créent des impressions d’infinis et d’érotisme latent, comme des prolongements des creux et des vagues du corps, les ondulations de l’Océan ou la terre-mère des tourbières du Limousin, le cosmos est ici, désirant et unifié dans l’instant formel. Ses oeuvres sous-verre nous regardent, ce sont des yeux, des fleurs venues d’Espagne, des seins ronds comme des abstractions mathématiques. 
Et ses bribes de phrases noir sur blanc, des retours automatiques de mails, sont l’allégorie funeste de l’administration française fantôme, ces mots rappellent l’architecture d’un crématorium, les morts nous parlent. C’est peut-être ses plongées dans les strates terrestres qui amenèrent Julie Navarro à la praxis politique, à l’investigation de l’art dans le quotidien. En remontant vers la surface, elle a réuni la cité : des habitants, des artistes et des politiciens. La création d’une esthétique éphémère mettait en exergue ce point essentiel, souvent oublié : cqui sépare les hommes n’est rien au regard de ce qui les rassemble.
L’important est le processus, ce qui traverse et unit, c’est un chemin qui se fait en marchant. C’est également le cas de ses broderies et ses Battle de danse et brodeuses réunies, souvent des seniors. 
Julie Navarro est dans le faire, dans l’expérimentation, le balayage du pré-pensé, du jeunisme et de la mode qu’elle ne suit pas. Elle remet au goût du jour une pratique ancestrale, artisanale : l’art au cœur de la cité, l’artiste citoyen qui fait sont job à l’instar du boucher ou du fleuriste, il n’est pas dieu, adoré par quelques-uns dans de vieux musées, le temps des idoles est révolu.
Ces sensations sont restituées au cœur de l’arrondissement le plus cosmopolite de Paris, le 19e. C’est une exposition à vivre comme une promenade à la campagne, des signes nous guident, des traces réunissent et apaisent, donnent foi en l’humanité, de la fin au début, de l’éternel recommencement, de l’ironie et de la beauté de l’art dans toute sa complexité naturelle.
Laurent Quénéhen, commissaire de l’exposition



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